32 FEVRIER 2097

32 FEVRIER 2097. ENTREE DE VILLE 12 RX (ANCIEN NORD MAGNERIQUE).

Hiver 2082, La lune et vertes Et fluorescentes même quand elle est noire. L’astre et radioactif tant les déchets nucléaires y sont abondants dans ces décharges sauvages que les terriens ont ouvertes.

La mer de la tranquillité a été rebaptisée Tchernobyl, c’est-à-dire …

Ça vous fait des nuits d’aquarium et des têtes d’ampoules à faire détaler les iguanes urbains.

Le monde est divisé en deux. Le coté et l’autre, sans nom.

Nous on est dans l’autre, celui qui ressemble aux purulents décors de Blade Runner : ville fantômes, quartier dévastés, palais délabrés, Eglise squattées par les rats et de chikungunya, zombies errants rescapés de l’épidémie de bolkesteinia, sous d’antiques caméras de surveillance frappées de cécité.

Le développement durable, terre promise des bonimenteurs du début du siècle n’a pas duré et le tri sélectif ne concerne guère plus que les humains.

Enfin, c’est ainsi que l’on s’appelle encore. La BQE est souveraine, c’est la zone.

L’hiver il pleut, il fiat un petit 45°C, les trois hectares de pôle nord aidant ; la banquise a été préemptée et remorquée par pousseurs atomique au profit des terres du côté.

Je suis étudiant en super master d’archéologie moderne – mille six cents heures d’études suffisent – dans une ancienne gare TGV désaffectée depuis le Tsunami rhénan qui nous fit boire tant de potions pharmaceutiques amères.

Mon spot est situé dans la sixième couronne ruiné de Strasblagada. La mégalopole s’est rependue en un siècle jusqu’au mégalithesque mur païen.

Là où la tribu des cyborgs du Donoien se bat à coup de pierres et de vieux tasers contre les stanisliens.

Les stanisliens sont de vieux cybermétalugistes et haut-fourneauteurs du recyclage usinier de l’acier. Leur palais est à Stroumpfcity, et des goussets enchantés.

Il est vrai qu’aujourd’hui l’or coute dix fois moins cher que l’acier. Il n’y a guère que les nababs du pays de Côté à se faire mouler des charpentes en or, les radins.

Pour mon état des lieux in situ il me faut m’harnacher ; les anciennes entrées de ville sont non-lieu, inhabité et sans gouvernance. Je m’équipe : masque à sarin, visière infra rouge, combinaison Rabanne et titane, tongues anti-iguanes, et laser à vapeur d’hydrogène.

La traversée de Schiltcity et de Souffelicité se fait sans encombre, ni galère : je voltige sur des carcasses de cent tonnes échouées sur l’autoroute éventrée et vitrifiée par la circulation sauvage des fifties (la décennie où les péages rançonnaient la populace ambulante, tous les kilomètres).

Au bout de trois heures de crapahutages dans cette déchetterie de tôles broyées et humides, entre iguanes affamés et corbeaux défoncés à l’ozone, j’aperçois enfin mon Karnak, ma vallée des rois. Mon Ur est venu. Ma Venise à moi, ma belle Atlantide, mon Stonehenge, mon entrée de ville est là, à mes pieds tongués.

J’embrasse le paysage tel Christophe Colomb découvrant les Amériques, conquistador d’un Saint Domingue bouffé par le consumérisme, archéologue éclairé de cybermodernicité, du chaos post-Koolhassien et des ombres Hadidiennes.

Un patacaisse urbain-commercial à genoux, dont la figure est une carcasse blême et fantomatique.

Ici plus je m’avance prudemment, plus tout pue le caddie, le surendettement des ménages, le crédit révolving, le vaudou des promos de saisons, l’envoutement des démarques, et la momification des neurones.

C’est drôle cet endroit calciné ; avant, les ménagères s’endettaient à plus soif et achetaient leur argent au distribanque ! aujourd’hui y a plus d’argent, donc plus de dettes.

Bref, me voila pénétrant en profondeur, les entrailles déchiquetées de mon entrée de ville et bien évidemment je m’attaque à ce qui fut son navire amiral dans cette enclave maudite : l’hypermarché.

 

Des poteaux acier, rongés par la nappe ozonique (P.P.RP.O. caduc) se dressent comme de vieux moignons chancelants ; je marche sur un étang – un marigot, une soue-instable, mité et fortement oxydé de bardage dont les râles (les RAL ?) sont autant de couinements métalliques.

Comme je marche ainsi, j’enjambe, des enchevêtrements de bacs : collaborant, acier, secs, toute la famille pulvérulente est là, sous mes tongues.

Et puis me voila dans le quartier des gondoles, ces vaisseaux à yaourts échoués, sous des toiles d’araignées de tuyaux de sprinklage désormais taris.

Je mesure, je note, je scanne toute cette quincaillerie de très faible épaisseur, rongée et dévastée par les pilleurs d’acier. J’avance, je progresse dans la ruine et l’inhumanité.

Voila le quartier des caisses, ventres en caoutchouc ouvert avec leurs pitoyables présentoirs à sucreries d’avant l’addition fatale.

Passés les amoncellements de chambres froides béantes, me voila dans ce que fut vraisemblablement le saint des saints : la crypte des ordinateurs et des baies de brassage qui jouent les gorgones échevelées avec fils et faisceaux hérissés en tous sens.

Il me faut à présent escalader les empilements de groupes froid, carcasses béantes sur des ventilateurs figés.

Je prends, je note, je repère, je quadrille ; pas de place pour le sentimentalisme et les émotions stendhaliennes ; il me faut échapper au syndrome de Florence ; je suis un scientifique.

Péniblement je me hisse jusqu’au tumulus ravagé de ce que dut être la station-service lavage, une manière de Bagdad Café revu et corrigé à la roquette. Les rouleaux encore

bleus des tunnels de lavage ressemblent à des buanderies dérisoires d’une corrida urbaine. Je pense à Arcimboldo, à Piranese, à Fernand Léger.

Dans ce crépuscule naissant-la lune est verte, notre méduse aux isotopes radioactifs-tout prend allures de vision nocturnes à l’infrarouge, et je peux à présent m’orienter sans lunettes.

Le paysage d’apocalypse post-industrielle me rappelle ce que décrivait mon grand père à propose d’un 11 septembre noir et de son ground zéro. ; sauf qu’ici il n’y a eu nul raid aérien, mais simplement la désaffection et la déshérence héritées de formes économiques non durables, d’OPA hostiles généralisées et de délocalisations hystériques.

Je me prends à penser que les tontons macoutes ferrailleurs de terres inconnues d’outre-Vosges pourraient bien débarquer un jour par ici, tel des pilleurs de tombes Etrusques ou Egyptiennes.

Dix mille tonnes d’acier – platines, crosses d’ancrages, rivets, boulons, fermes et entretoises, pannes, tôles ondulées, galvanisées, perforées, tubes creux ou pleins, gaines et chemins de câbles, ridelles et chasse-roues, rideaux articulés, panneaux, ventelles, tirants, souches et cheminées inox, citernes, poteaux et poutres, escaliers et passerelles, mains-courantes et crinolines – dix mille tonnes de mémoires, de passé florissant, d’ivresse consumériste et des cris joyeux d’enfant au rayon PSP et papas au rayon 4X4…

Bon me voilà remué à présent ; il est temps de chercher un abri sûr pour la nuit phosphorescente, hors de portée des iguanes omnivores. Derrière un champ de trèfles à six feuilles, je repère, à coté de la bananeraie sauvage, le quartier des hôtels-sans-clés, carcasses chancelantes et refuges antiques de fornication clandestines entre midi et deux… Des lupanars pompéiens de début de l’ère de la globalisation et de la partition du Côté, et de l’autre. 

J’en trouve un encore debout, mélange de clapiers et de baraques de chantier, infâme rubikscub de nuit sans sommeil où je finis par trouver le miens.

Un sommeil peuplé de rêves oniriques et pastels, d’où les iguanes sont absents ; un sommeil de bébé hyperventilé à l’ozone, planant au-dessus des bananeraies primaires, comme un petit prince dans le grand bleu, en apnée, en lévitation.

J’y ai vu des bouchons trépignants de voitures aux heures de pointe, des parkings festifs aux caddies débordants, des ruées vers l’or des gondoles, vers des pyramides de cuisinières à plasma, de lave vaisselles à micro-ondes. J’y ai vu des processions de pimpantes ménagères surendettées, et des conclaves de chefs de produits en formation.

J’y ai vu des disputes joyeuses des queues aux distribanques (vous savez ces automates qui vendaient de l’argent à tout le monde), aux pompes à hydrogène, aux jolis restaurants colorés comme fast-food délicatement enluminés. J’y ai vu l’indicible bonheur – l’extase – que procure le versement des acomptes sur les frigos américains, les robinets à eau sélective, les bidets lumineux et les bureaux portables sur soi. J’y ai vu le regard émerveillé et mouillé des séniors acheter cash, croisières, villas, coupé sport et abonnement coach-fitness-diététique. J’y ai vu le paradis sur terre, tournant en boucle 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et en couleur.

Ah, les week-ends de promos ! Le nirvana des bonnes affaires ! les semaines à tout casser ! que du bonheur d’avant…

A présent c’est le jour, blafard, et le soleil blanc comme neige, un jour de plus. Je dois me taper les sites de Bricorama, de Viandangro Center et de Planète Plasma, tous établissements de grand intérêt archéologiques. Peut-être aurais-je la chance de découvrir une carte bleue ou un modem internet de la première génération ? une carte SIM, si seulement.

Allez au boulot ! la semaine prochaine, je fais la porte sur vers Benstein ; il parait que c’est très ferrugineux. Je déjeune sobrement un œil d’iguane et je m’y colle.

Mon thermoplasmètre GPS indique déjà 40°C et le soleil à décrit ses trois premières ellipses de la matinée. Pluton va se lever dans une heure.

Un jour, c’est promis, je ferai clandestin pour aller voir le pays bénis, les eldorados, les terres de Côté ! j’en ai marre des iguanes. Et de la lune à tête de néon. 

Gomez Michel STRG. WR 0614224

Zwg : iris de type M.K.S.128

Autorisation de sortie du centre-ville :

Barko.22.814/R.J

Retour sous boussole atomique assistée intradermique

Vaccination anti-iguanes : conforme.

Protocole Mad Max : encodé sur 114 ellipses solaires / jour.